
L’image est connue des amateurs de cartes postales anciennes. Elle présente deux carriers dans l’une des dernières exploitations de grès en activité dans le massif domanial de Fontainebleau au début du XXème siècle (1). L’atelier est situé au Long Rocher, un canton, proche de Montigny-sur-Loing, très exploité avant 1850, du temps de la concession accordée à M. Zeltner (2). Deux hommes posent au pied du front de taille au milieu de blocs de grès abattus. Pantalon large, chemise ample avec des manches retroussées, tous deux ont des bras musclés et semblent d’âge mûr. Le personnage de gauche, tête nue, le dos courbé, porte un couperet, outil destiné à lancer des fentes dans les blocs. A droite, un genou posé sur un fagot destiné à amortir les chocs, l’homme en retrait qui porte une casquette, tient dans ses mains un marteau destiné à creuser des mortaises, marteau pointu très identifiable grâce à l’ombre portée sur le bloc. Qui sont-ils ? Le témoignage recueilli en 1987 auprès d’une ancienne habitante de Montigny, Henriette Virion (1908-2005), nous a mis sur la piste de leur identité. D’après Henriette, son père Charles, célèbre sculpteur qui a vécu à Montigny-sur-Loing de 1889 à sa mort en 1946, les avait bien connus. Il lui aurait indiqué que « le personnage de gauche portait le surnom de « Long Boyau » mais de son vrai nom s’appelait Réveillé et le personnage de droite s’appelait « Boyer le pauvre » en opposition à son frère « Boyer le riche » qui tenait un hôtel à Montigny ». (3). Grâce aux derniers registres de recensement et aux registres d’état civil mis en ligne sur le site des Archives départementales de Seine-et-Marne, nous avons pu identifier les quatre carriers (4) résidant à Montigny en 1906. Parmi eux, figure un dénommé Louis Réveillé, né le 4 septembre 1862 à Montigny dont nous pensons qu’il correspond à notre personnage de gauche sur la carte postale. A 44 ans, Il vit dans un secteur que le registre de recensement nomme le « bout du haut de Montigny, côté gauche ». Il semble veuf ou divorcé. Il a quatre enfants : Louise 18 ans ; Léon 13 ans, né à la Ferté-Alais ; Renée, 7 ans et Angèle 4 ans. Les trois filles sont nées à Montigny-sur-Loing. Louis Réveillé héberge également une sœur, Julia Versin, née en 1881 et une nièce, Gabrielle, née en 1900 à Paris. Émile Boyer est notre personnage à la casquette. Il est né à Montigny-sur-Loing le 28 avril 1858 et habite non loin de son frère Jules, qui tient, à l’époque, l’hôtel qui porte son nom, avenue de la Gare. Émile a 48 ans en 1906. Il est marié à Léopoldine Thibault née à Écuelles en 1862 (5). Ils ont une fille, Célestine, né en 1891 à Montigny-sur-Loing (6). Le travail aux carrières se transmettant souvent d’une génération à l’autre, nous n’avons pas été étonnés d’apprendre, grâce aux extraits de naissances, que le père d’Emile, Eugène Alexandre, était voiturier tandis que le père de Louis, Louis François, était carrier.
Retrouver le nom d’une personne aujourd’hui disparue peut sembler dérisoire. Un nom ne dit rien d’une vie, de ses joies ni de ses peines. Toutefois, l’évocation d’un nom peut parfois réactiver des souvenirs, stimuler des conversations, actionner des recherches pour retrouver de vieilles photos, des papiers ou des objets entassés au fond d’un grenier, d’une cave ou d’une armoire… Je lance un appel aux habitants de Montigny-sur-Loing ou d’ailleurs, aux anciens comme aux plus jeunes, en caressant l’espoir que parmi les descendants des derniers carriers de grès, quelques souvenirs ont traversé le temps. Merci pour vos retours. Patrick Dubreucq
(1) un arrêté du ministère de l’Agriculture du 19 octobre 1907, appliqué par le préfet de Seine-et-Marne, interdit désormais toute exploitation de grès dans la forêt domaniale de Fontainebleau
(2) Frantz Zeltner, un citoyen d’origine suisse, obtient, en mars 1830, du roi Charles X un bail emphytéotique de 99 ans pour exploiter le Long Rocher sur une superficie de 66 hectares afin d’y fabriquer « des pavés, des bornes et des pierres de taille ». Nous reviendrons dans un prochain article sur cette exploitation.
(3) Il existe un hôtel Boyer, avenue de la Gare, au début du XXème siècle tenu par Jules Boyer, né en 1856 à Montigny et marié à Amanda Frichet née en 1855. Ils ont une fille, Hélène, née en 1884 à Paris. La stèle funéraire, au cimetière de Montigny-sur-Loing, indique qu’Amanda est décédée en 1923 et Jules en 1927.
(4) les deux carriers qui ne figurent pas sur la carte postale sont d’une part : Georges Genty, né en 1857 à Montigny-sur-Loing et Alexandre Guerre né en 1843 à Ferrière (Loiret). Témoin de la destruction de la grotte du Croc marin pendant la guerre de 1870, Georges Genty est connu, sous le surnom de « La Gaillouche ». Sa stèle funéraire au cimetière de Montigny nous apprend qu’il est mort, en 1943, dans sa 86ème année. Nous n’avons pas retrouvé la tombe d’Alexandre Guerre ni celle de Louis Réveillé mais nous savons, grâce aux registres d’état civil conservés à la mairie de Montigny-sur-Loing (merci au service d’accueil de la mairie) que ce dernier est décédé le 05 juin 1919 dans sa 57ème année.
(5) La pierre tombale de Léopoldine Thibault, au cimetière du Montigny-sur-Loing, nous apprend qu’elle est décédée en 1939. Nous n’avons pas retrouvé la tombe d’Émile Boyer mais nous savons, grâce aux registres d’état civil conservés à la mairie de Montigny-sur-Loing (merci au service d’accueil de la mairie) qu’il est décédé le 19 novembre 1909 à l’âge de 51 ans.