carrières et carriers de grès du massif de Fontainebleau et alentours

Bien connus des amateurs de randonnée mais surtout d’escalade, les grès de Fontainebleau eurent longtemps une vocation tout autre : durant des siècles, ils ont été débités afin de servir à la construction, celle du palais et des maisons anciennes mais aussi pour le pavage des rue de la capitale grâce à la Seine qui en facilitait le transport. Aujourd’hui silencieuses, les multiples carrières ont laissé bien des traces qui font aujourd'hui partie du patrimoine. Ce blog propose de populariser toutes les initiatives qui visent à valoriser ou mieux faire connaître ce patrimoine auprès du grand public


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Où est l’antre véritable de l’ermite Lallemant (1723-1805), terrassier de carrière de grès, évoqué par l’écrivain Étienne de Senancour (1770-1846) ?

C’est sur une page consacrée au sentier bleu n°4 qui traverse le Rocher Saint-Germain, sur le très beau site animé par Olivier Blaise, Fontainebleau-photo,[1] que j’ai découvert la belle histoire de l’ermite Lallemant, terrassier de carrière.  Olivier Blaise, que je remercie, a bien voulu dévoiler ses sources et m’a indiqué avoir découvert cette histoire dans un ouvrage d’Étienne de Senancour intitulé « Libres méditations d’un solitaire inconnu » et publié en 1819[2].

Voici le récit intégral que l’on trouve au tout début de l’ouvrage : « On a vu de notre temps une chose singulière. Un homme vivait au milieu des bois de Fontainebleau, parmi les roches qui sont en grand nombre dans cet espace, d’environ vingt lieues carrées, que terminent le bourg de Milly, et l’ancienne ville de Moret. Le métier de cet homme robuste et bon travailleur était celui de terrassier dans les carrières de grès où l’on taille des pavés qu’on embarque aux ports de La Cave et de Valvins. C’est vers l’âge de 30 ans qu’il adopta une manière de vivre dont le motif n’est point connu. Durant tout un demi-siècle, il passa les nuits sur le sable ou sur quelques branchages. Sa fille et ses deux fils restèrent avec lui plusieurs années ; mais ensuite l’un de ses enfants se fit militaire à l’instigation des autres ouvriers, et le second se noya en traversant la Seine. Leur mère mourut âgée de quarante-cinq ans, et on croit que l’ennui abrégea ses jours. Cet ouvrier vécut donc seul dans la forêt pendant plus de 40 ans. Il en avait quatre-vingt-deux, lorsque vers Noël, en 1805, ses anciens camarades, le voyant près de sa fin, le transportèrent malgré lui à Fontainebleau où il ne tarda pas à mourir. Plusieurs fois, ces gens qui l’aimaient, ne pouvant le décider à quitter sa demeure, avaient cherché du moins à la lui rendre plus commode. IL s’y était refusé constamment. Un jour, en son absence, on entoura de bruyères et de morceaux de grès disposés avec soin, cette espèce de caverne, et on l’orna d’une porte ; mais elle lui déplut.  Alors, il fut sur le point de l’abandonner et il n’y resta qu’après avoir détruit en partie ce qu’on avait fait. Il possédait néanmoins quelques ustensiles, et même des meubles grossiers. Il s‘était approprié un peu de terrain ; il y récoltait du blé ainsi que des légumes. Il nourrissait des poules et un chien. Des haies de sureau entouraient son petit domaine ; une pierre lui servait de table et il dormait sans se déshabiller. Lallemant s’était fixé dans la partie septentrionale du Rocher Saint Germain près du chemin qui conduit de la Belle-Croix au port de la Cave. IL eût pu choisir, au pied de ces mêmes collines, une exposition moins froide mais dans le fort de l’hiver, il arrangeait autour de lui des branches de genièvre et il fermait sa porte, c’est-à-dire qu’il dressait une planche. Souvent les personnes qui dinaient dans la forêt envoyaient chez lui du gibier ou du vin. Il était surtout l’objet de ces attentions ou de cette curiosité durant les voyages de la cour et même il était connu de Louis XVI. Mais, dès qu’il apercevait une calèche, il s’éloignait ; ou, si on le surprenait dans son asile, on avait beaucoup de peine à lui faire accepter quelque chose. On ne le voyait à l’église que le dimanche seulement, et il n’y a point d’apparence que la dévotion l’ait jeté dans cette retraite. Rien non plus n’annonce que l’avarice l’y ait déterminé. L’on sait qu’il portait quelques secours chez les malades des villages voisins ; et, comme il ne fréquentait pas les cabarets, on conjoncture qu’il distribuait son argent à ceux dont les besoins étaient plus étendus que les siens, se bornant, pour sa propre consommation, au produit du terrain fort maigre qu’il cultivait. On dit que sa manière de vivre attira sur lui l’attention de la police et qu’on le surveilla dans un premier temps mais ensuite son indépendance et même ses défrichements furent tolérés d’après les ordres du roi ».

Ces informations suscitent plusieurs interrogations. On peut tout d’abord se demander si Étienne de Senancour (1770-1846) n’avait pas rencontré ce personnage. En 1804, Étienne de Senancour publie un roman intitulé Oberman[3]. Celui-ci passe d’abord inaperçu mais le rend célèbre plus tard auprès des romantiques. Dans sa lettre XII (page 115 et suivantes) qu’il consacre à ses souvenirs de jeunesse dans la forêt de Fontainebleau, Etienne de Senancour évoque sa rencontre, tandis qu’il piste les traces de deux biches, avec un vieux carrier qui termine ses jours en ermite dans la forêt accompagné seulement d’un chien et d’un chat : « Je descendis dans tous les fonds de cette sorte de lande creusée et inégale, où l’on avait taillé beaucoup de grès pour le pavé : je ne trouvai rien. En suivant une autre direction pour rentrer dans le bois, je vis un chien, qui d’abord me regardait en silence, et qui n’aboya, que lorsque je m’éloignais de lui. En effet, j’arrivais presque à l’entrée de la demeure pour laquelle il veillait. C’était une sorte de souterrain fermé en partie naturellement par les rocs, et en partie par des grès rassemblés, par des branches de genévriers, de la bruyère et de la mousse.  Un ouvrier, qui pendant plus de trente ans avait taillé des pavés dans les carrières voisines, n’ayant ni bien ni famille, s’était retiré là pour quitter, avant de mourir, un travail forcé, pour échapper au mépris et aux hôpitaux. Je lui vis un lit et une armoire : il y avait auprès de son rocher quelques légumes dans un terrain assez aride ; et ils vivaient lui, son chien et son chat, d’eau, de pain et de liberté. J’ai beaucoup travaillé, me dit-il, je n’ai jamais rien eu ; mais enfin je suis tranquille, et puis je mourrai bientôt ».

La proximité des deux récits amène à penser qu’il s’agit peut-être du même personnage. J’invite les lecteurs qui auraient une réponse plus savante que la mienne à m’en faire part.

Une seconde interrogation concerne l’emplacement de l’antre du carrier Lallemant. En effet, les informations que donne Senancour, en 1817, sont en contradiction avec l’emplacement actuel, marqué d’une étoile et localisé dans la partie méridionale et orientale du Rocher Saint Germain[4]. Par ailleurs, cet antre ne ressemble en rien à « une espèce de caverne » pouvant contenir des meubles.

D’où vient cette localisation probablement erronée ? Elle n’est pas mentionnée dans les guides de promenades de C.F. Denecourt dont la 18ème édition de 1874 est pourtant fort complète. L’antre du carrier Lallemant figure par contre dans la 22ème édition[5] (1888, p. 97, image ci-dessus) du guide de son continuateur Charles Colinet (1839-1905). Dans la description du sentier du Rocher Saint-Germain, celui-ci indique, à l’aide des lettres peintes destinées à distinguer les rochers et à guider le promeneur : « A quelque distance, à notre gauche, la lettre T signale le Cyclope avec son œil énorme. Ensuite, c’est l’antre du carrier Lallemant (U) (Aujourd’hui la lettre U a été remplacée par une étoile). Immédiatement après, c’est la roche du Barde, pierre géante se dressant fièrement. Tout près se voit le petit Dolmen, composé de trois grès formant arcade. ». On peut s’interroger sur la qualité des informations recueillies par Charles Colinet (1839-1905) qui n’avait que 6 ans lors du décès d’Etienne de Senancour.  Par ailleurs C.F. Denecourt avait tracé l’itinéraire du sentier n°4 dont la description a été reprise par Maria Colinet (1851-1933) dans son indicateur de 1921 et l’abri Lallemant n’y figure pas.[6]

Le véritable emplacement de l’antre du carrier Lallemant reste un mystère. Probablement faudrait-il chercher du côté de la Grotte aux Cristaux. Cela est compliqué car toute cette zone a subi une exploitation intense du grès de l’époque de Louis XV jusqu’à son arrêt en 1865 selon C.F. Denecourt. Il est à craindre que l’espèce de caverne ait fini débitée en pavés. Il reste que l’histoire de cet ermite montre que les carriers ne sont pas absents de la littérature et qu’ils ont attiré l’attention d’écrivains célèbres. Enfin, à défaut de découvrir l’emplacement de la véritable grotte, aller cheminer sur le sentier bleu du Rocher Saint-Germain permet d’admirer un des plus beaux chaos rocheux de la forêt et de découvrir, dans la partie nord, de beaux vestiges de carrières.

Patrick Dubreucq, le 02 mars 2023. Merci à Virginie et à Clément pour leur relecture attentive.


[1] http://www.fontainebleau-photo.fr/2011/11/le-rocher-saint-germain-sentier.html

[2] Senancour, Étienne de, libre méditation d’un solitaire inconnu, sur le détachement du monde et sur d’autres objets de la morale religieuse, 432 pages, Paris 1819. En ligne sur Gallica.bnf.fr

[3] Senancour Étienne de, Oberman, lettres publiées par M…Sénancour, auteur de rêveries sur la nature de l’homme… Paris chez Cérioux, Libraire, quai Voltaire, de l’imprimerie de la rue de Vaugirard, 1804, 404 pages. En ligne sur Gallica.bnf.fr

[4] Merci à William Mouilloix, responsable de la commission terrain des Amis de la Forêt de Fontainebleau pour les cordonnées GPS du site

[5] COLINET Charles – Indicateur de Fontainebleau : palais, forêt, environs : orné de gravures, 22ème édition, Fontainebleau, 1888, 344 pages.  Disponible sur gallica.fr https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6526216c?rk=21459;2#

[6] Merci à Gilbert Detollenaere, ancien responsable de la Commission terrain des Amis de la Forêt de Fontainebleau qui m’a signalé cette information


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À propos de la répartition des carriers de grès de la forêt de Fontainebleau en 1858.

En janvier 1858 l’empereur Napoléon III est visé par un attentat à la bombe devant l’opéra de la rue Le Peletier à Paris. Quelques mois plus tard, à l’occasion de son séjour à Fontainebleau,  les autorités chargées de la sûreté de l’empereur demandent à l’administration forestière de dresser un « état général des carriers » de grès de la forêt de Fontainebleau car elles se méfient d’une population qui s’est forgée la réputation d’être insoumise et prompte à la révolte. Ce document est très précieux   car il contient une liste complète « des ouvriers carriers travaillant dans la forêt impériale de Fontainebleau »[1] avec leur nom et prénom, leur lieu de résidence et le nom du brigadier chargé de la surveillance dans chaque cantonnement. Nous savons ainsi qu’en 1858, 193 carriers travaillent en forêt et nous avons pu dresser la carte de leur lieu d’habitation.

Le document indique aussi le lieu de travail de chaque carrier, ce qui porte à notre connaissance les principaux secteurs d’extraction du grès en forêt de Fontainebleau en 1858. Ils se répartissent de la manière suivante :  

Cantonnement nord sous la direction de M. de Poincte, sous-inspecteur à Fontainebleau, 16 rue de l’Arbre sec : Rocher Saint Germain : 1 ; Le Calvaire : 11 ; Petit Cassepot : 3 ; Fort des Moulins : 1 ; Parc de la Madeleine : 5 ; Rocher Cuvier Châtillon : 16. Total : 37 carriers.

Cantonnement ouest, sous la direction de M. Huvin, garde général à Fontainebleau, 20 rue de l’Arbre sec : Rocher du Long Boyau : 43 ; Mare aux Corneilles : 2, Gorges d’Apremont : 15 ; Total : 60 carriers.

Cantonnement sud, sous la direction de M. Domet, garde général à Fontainebleau, 4 rue Saint Merry : Rocher Fourceau : 15 ; Rocher Besnard : 2 ; Montoir de Recloses : 1 ; Vallée Jauberton : 1 ; Palis du Parc au bœuf : 9 ; Écuries de la Reine : 10 ; les Étroitures : 16 ; Croc Marin : 15 ; les Quinze : 20. Total 96 carriers

Cet « état général des carriers » nous apprend également que, dans cette population, Il n’y a « pas d’étranger ». Les carriers d’origine italienne, belge… ne semblent pas encore arrivés dans la région. On peut enfin noter qu’un carrier est mentionné comme « un homme aux idées avancées ». Il s’appelle Romain My, travaille au Rocher Petit Cassepot sous la surveillance du brigadier Delamotte et habite la commune de Samois.  Deux ans plus tôt, dans le registre de recensement de 1856, on trouve les précisions suivantes : il a 39 ans, il habite rue des Bergers (qui semble ne plus exister aujourd’hui) dans le Haut-Samois, il est inscrit comme manouvrier, il porte le prénom de François Romain et il est marié. Sa femme, Adrienne, Caroline, Anastasie Draves a 37 ans. Aucun enfant n’est mentionné comme vivant sous leur toit. Nous n’avons pas connaissance d‘autres traces dans les archives.

La carte de la répartition des carriers en 1858 peut être comparée avec celle de 1846 publiée avec un commentaire sur ce blog le 8 octobre 2020.

Cette comparaison met en évidence deux phénomènes. Premièrement, le nombre de carriers décroît : 340 en 1846, 215 en 1856, 193 en 1858. En effet, après 1850 le grès subit la concurrence d’autres matériaux comme le granit ou le macadam. Par ailleurs, son extraction commence à être combattue par les artistes et les touristes qui perçoivent les carrières comme un « fléau » qui dénature la forêt.

On constate un second phénomène : la répartition des carriers dans les communes de l’arrondissement de Fontainebleau n’est pas figée. Tandis que 40 % des carriers recensés habitent les villages de Recloses, Bourron et Marlotte en 1846, ce sont les communes de Fontainebleau et de Montigny-sur-Loing qui comptent le plus de carriers en 1858 (53 % à elles deux). Les carriers, dont l’habitation est souvent louée, déménagent en fonction de la fermeture  et de l’ouverture de nouveaux cantons à l’exploitation. Ainsi le nombre important (61)  de carriers habitant  Fontainebleau en 1858 s’explique par l’ouverture du Rocher du Long Boyau à l’exploitation dès 1848. 33 d’entre eux y travaillent en 1858.

 Le déclin des effectifs se poursuit après 1858. En 1898, on ne compte plus que 65 carriers puis l’extraction du grès dans la forêt domaniale de Fontainebleau est interdite en 1907. L’exploitation se poursuit alors dans les terrains privés de la forêt de la Commanderie, de la forêt des Trois Pignons, ou du Coquibus jusqu’en 1983. Aujourd’hui, une seule carrière de grès subsiste, celle de M. de Oliveira à Moigny-sur-École dans l’Essonne.

Patrick Dubreucq le 10 février 2023. Merci à ma fille Lucie pour les réalisations cartographiques.


[1] Archives départementales de Seine-et-Marne, cote ZP 69


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À propos de l’utilisation du grès au château de Fontainebleau : la façade de la grotte des Pins

Grotte des Pins, château de Fontainebleau, cliché Patrick Dubreucq, 2016.

Selon les informations recueillies sur le site pédagogique du château de Fontainebleau[1] il s’agit de la « première grotte artificielle construite en France ». Réalisée, « selon le projet de Primatice » vers 1543-1544, sous le règne de François Ier qui appréciait particulièrement  l’art italien, la grotte des Pins, ornée de quatre géants, est un chef d’œuvre unique de la sculpture en grès. Cette grotte faisait face au jardin des Pins, jardin méridional voulu par François Ier,   devenu plus tard le jardin anglais.  Les blocs de grès taillés en coins, qu’on nomme des claveaux, forment trois arcades en bossage[2] très apparent, à la manière italienne. Les claveaux sont penchés vers l’intérieur de la grotte de manière à créer un effet de profondeur. Les trois arcades s’appuient sur quatre géants, littéralement encastrés dans les blocs de grès.

Grotte des Pins, visage d’un des quatre géants. P. Dubreucq, 2016.

Avec leur visage qui exprime de la gravité voire de la souffrance, ils semblent porter le monde. L’agencement complexe des blocs pour représenter le corps des géants accentue encore l’effet de puissance dû au traitement rustique des grès. Le site pédagogique du château ajoute que ces « atlantes monumentaux » ne sont pas sans évoquer « les Esclaves de Michel Ange ou le Laocoon du Vatican. »

Grotte des Pins, château de Fontainebleau, jambage d’un des quatre géants. P. Dubreucq, 2022.

Médard Thiry, géologue, a attiré mon attention sur l’érosion différentielle des visages et des pieds des géants. Tandis que se devinent encore des boucles de cheveux et des vestiges de barbes sur les têtes, l’eau de pluie a fortement altéré les jambages et les pieds des atlantes. En effet le petit toit qui protège l’édifice n’avance pas assez pour protéger toute la façade. Cette érosion permet cependant de mettre en évidence la complexité du travail des tailleurs de grès car les jambages et les pieds font corps avec les blocs.


Grotte des Pins, château de Fontainebleau, détail de la musculature. P. Dubreucq, 2022

On remarque aussi que les troncs des personnages sont assemblés comme un puzzle pour souligner leur musculature.  Devant un tel savoir-faire, on aimerait savoir si le roi a fait venir des tailleurs de grès d’Italie ou bien s’il a fait appel à la main d’œuvre locale. La provenance précise du grès reste également une énigme. Pierre Dan, au XVIIème siècle, précise que le « banc royal » dont la pierre était réservée au château est situé au triage du Grand Mont Chauvet. C’est peut-être à cet endroit qu’a été extrait le grès très fin mais bien cimenté qui a permis à ces sculptures de traverser les siècles.

La grotte des Pins n’est qu’un des multiples témoignages de l’utilisation du grès au château de Fontainebleau. Ces témoignages ne manqueront pas de faire l’objet de futurs billets sur ce blog.

[1] http://www.chateau-fontainebleau-education.fr/guide/grotte_pins.html . Consultation du site  le 22-08-2022

[2] Bossage. Saillie de la face d’un bloc de pierre par rapport au nu de la maçonnerie. Un bossage est dit un sur deux lorsqu’un parement présente une alternance d’assises de blocs en bossages et de blocs dont le parement reste au nu de la maçonnerie. Un bossage est dit rustique lorsque son parement est d’une taille grossière. Il est dit continu lorsqu’il se prolonge sur une assise entière.

DAN Pierre –Le trésor des merveilles de la maison royale de Fontainebleau. Ensemble les traités de paix, les assemblées…qui s’y sont faites jusqu’à présent, 1642, BNF, site Gallica.fr.

SALMON Xavier – Fontainebleau le temps des Italiens, éditions Snoeck, Grand Courtrai, Belgique. 272 pages. 2013

VERLET Hélène – Fontainebleau par le grès et pour la chasse, éditions de la Société des Amis et Mécènes du Château de Fontainebleau (SAMCF) septembre 2007, 12 pages. En ligne, téléchargeable gratuitement.


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Samedi 17 et dimanche 18 septembre 2022 : journées « portes ouvertes » à la carrière de grès de Moigny-sur-École

M. de Oliveira dans sa carrière de Moigny-sur-École en mai 2018. Photo P. Dubreucq.

Dans le cadre des journées du patrimoine 2022, le dernier tailleur de grès de la région parisienne ouvre les portes de sa carrière. Francisco de Oliveira, passionné par son métier, vous expliquera comment le grès «chante» et « gémit » sous le coup des marteaux, des coins et des broches…Il vous fera revivre les techniques de taille à travers les siècles. Vous assisterez à la démonstration du débitage d’un bloc depuis  la taille d’une bordure de trottoir jusqu’à la taille d’un pavé. Vous observerez comment le forgeron façonne les outils dans son atelier… La carrière « les grès de Fontainebleau » est  située à Moigny–sur-École, route de Boutigny-sur-Essonne. Le parcours est fléché.  Le public sera reçu le samedi 17 et dimanche 18 septembre, à partir de 9h30 le matin et de 14h l’après-midi.  Une visite est prévue par demi-journée.


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À propos de l’ancien port aux grès de Valvins, en bordure de Seine, près de Fontainebleau.

Embarquement des pavés au port de Valvins. L’Illustration, Journal universel, 17 oct. 1846.  Cliché Patrick Dubreucq, 2017.

Le port au grès de Valvins fut, dans la première moitié du XIXème siècle, le principal port d’exportation des marchandises de grès extraites du massif de Fontainebleau. Il était situé à l’origine au pied du domaine de la Madeleine sur la commune de Samois-sur-Seine. La construction, à partir de 1812,  du pont de Valvins amène les autorités à le transférer 600 m en amont sur la commune d’Avon. Il s’agrandit alors pour répondre à une demande en augmentation.

Automne 1846, un envoyé du magazine l’Illustration, journal universel, se rend à Fontainebleau pour un reportage sur le métier de carrier. À l’issue de son séjour, le 17 octobre 1846, un article intitulé « les carrières de grès à paver » est publié.  Trois gravures l’illustrent.  L’une d’entre-elles, remarquable, présente « l’embarquement des pavés au port de Valvins » à l’époque de son apogée.

Au premier plan, on découvre un amoncellement de pavés qui attendent d’être embarqués. Les archives (1) nous apprennent que la partie du port louée par les entrepreneurs du Pavé de Paris représentait une superficie de 1 hectare 37 ares.  On pouvait y entreposer des dizaines de milliers de pavés (2). L’auteur a apposé ses initiales P.B. sur deux d’entre eux. Il s’agit peut-être d’une façon de nous indiquer qu’ils étaient marqués afin que l’on puisse établir leur provenance (fabricant et carrière) et leur destination. Au centre de l’image, des hommes discutent, les uns assis, les autres debout. Parmi eux figurent sans doute des entrepreneurs, des voituriers, des jurés-compteurs et des chefs d’atelier.  En effet, sur le port, les pavés étaient comptés et triés par catégorie pour établir le paiement des carriers. Toujours au centre de l’image, un « bardeur » opère, à l’aide d’un « bard » qui roule sur une planche, le chargement de plusieurs pavés sur un bateau dit « marnois » qui pouvaient en contenir 7 à 8000 (4). Tandis qu’un second bateau attend son chargement, on aperçoit au loin le pont de Valvins dont la construction s’est achevée une vingtaine d’années plus tôt (1825). Lors de leur déchargement à Paris, les marchandises étaient recomptées pour établir le paiement des entrepreneurs.

Cependant, dans la seconde moitié du XIXème siècle le grès subit la concurrence d’autres matériaux comme le granit, acheminé par chemin de fer, ou bien le macadam. Par ailleurs, l’extraction du grès est combattue par les artistes et les touristes qui perçoivent les carrières comme un « fléau » qui dénature la forêt considérée désormais comme un espace à protéger. En 1907, l’exploitation du grès est interdite dans la forêt domaniale et le port au grès cesse son activité.

(1) Rapport sur la désignation d’un emplacement destiné au dépôt des grès à Valvins, rédigé par l’ingénieur en chef du département de Seine-et-Marne et destiné au directeur général des Ponts et chaussées, M. le comte Molé, conseiller d’Etat, Melun le 10 mars 1812. Archives nationales, Pavé de Paris, F/14/910

(2) Entre 1821 et 1830, une moyenne de 1,9 million de pavés en provenance du massif de Fontainebleau sont enregistrés à l’octroi de Paris soit plus de 5000 par jour. Voir note 4.

(3) Nos recherches n’ont pas permis de retrouver son identité. Je remercie par avance le lecteur qui pourra combler cette lacune

(4) (Anonyme), 1832 – Prospectus pour l’exploitation d’une carrière de grès appelée le Long Rocher, concédée pour 99 années à M. Frantz Zeltner, 20 pages, page 2, Paris, 1832. Archives départementales de Seine-et-Marne, cote AZ 5026.


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À propos de l’identité de deux carriers de grès de Montigny-sur-Loing dans un atelier au Long Rocher dans la massif de Fontainebleau au début du XXème siècle.

L’image est connue des amateurs de cartes postales anciennes. Elle présente deux carriers dans l’une des dernières exploitations de grès en activité dans le massif domanial de Fontainebleau au début du XXème siècle (1). L’atelier est situé au Long Rocher, un canton, proche de Montigny-sur-Loing, très exploité avant 1850, du temps de la concession accordée à M. Zeltner (2).  Deux hommes posent au pied du front de taille au milieu de blocs de grès abattus.  Pantalon large, chemise ample avec des manches retroussées, tous deux ont des bras musclés et semblent d’âge mûr. Le personnage de gauche, tête nue, le dos courbé, porte un couperet, outil destiné à lancer des fentes dans les blocs.  A droite, un genou posé sur un fagot destiné à amortir les chocs, l’homme en retrait qui porte une casquette, tient dans ses mains un marteau destiné à creuser des mortaises, marteau pointu très identifiable grâce à l’ombre portée sur le bloc. Qui sont-ils ? Le témoignage recueilli en 1987 auprès d’une ancienne habitante de Montigny, Henriette Virion (1908-2005), nous a mis sur la piste de leur identité. D’après Henriette, son père Charles, célèbre sculpteur qui a vécu à Montigny-sur-Loing de 1889 à sa mort en 1946, les avait bien connus. Il lui aurait indiqué que « le personnage de gauche portait le surnom de « Long Boyau » mais de son vrai nom s’appelait Réveillé et le personnage de droite s’appelait « Boyer le pauvre » en opposition à son frère « Boyer le riche » qui tenait un hôtel à Montigny ». (3). Grâce aux derniers registres de recensement et aux registres d’état civil mis en ligne sur le site des Archives départementales de Seine-et-Marne, nous avons pu identifier les quatre carriers (4) résidant à Montigny en 1906.  Parmi eux, figure un dénommé Louis Réveillé, né le 4 septembre 1862 à Montigny dont nous pensons qu’il correspond à notre personnage de gauche sur la carte postale. A 44 ans, Il vit dans un secteur que le registre de recensement nomme le « bout du haut de Montigny, côté gauche ». Il semble veuf ou divorcé. Il a quatre enfants : Louise 18 ans ; Léon 13 ans, né à la Ferté-Alais ; Renée, 7 ans et Angèle 4 ans. Les trois filles sont nées à Montigny-sur-Loing. Louis Réveillé héberge également une sœur, Julia Versin, née en 1881 et une nièce, Gabrielle, née en 1900 à Paris. Émile Boyer est notre personnage à la casquette. Il est né à Montigny-sur-Loing le 28 avril 1858 et habite non loin de son frère Jules, qui tient, à l’époque, l’hôtel qui porte son nom, avenue de la Gare.  Émile a 48 ans en 1906. Il est marié à Léopoldine Thibault née à Écuelles en 1862 (5). Ils ont une fille, Célestine, né en 1891 à Montigny-sur-Loing (6). Le travail aux carrières se transmettant souvent d’une génération à l’autre, nous n’avons pas été étonnés d’apprendre, grâce aux extraits de naissances, que le père d’Emile, Eugène Alexandre, était voiturier tandis que le père de Louis, Louis François, était carrier.

Retrouver le nom d’une personne aujourd’hui disparue peut sembler dérisoire. Un nom ne dit rien d’une vie, de ses joies ni de ses peines. Toutefois, l’évocation d’un nom peut parfois réactiver des souvenirs, stimuler des conversations, actionner des recherches pour retrouver  de vieilles photos, des  papiers ou des objets  entassés au fond d’un grenier, d’une cave ou d’une armoire… Je lance un appel aux habitants de Montigny-sur-Loing ou d’ailleurs, aux anciens comme aux plus jeunes, en caressant l’espoir que parmi les descendants des derniers carriers de grès, quelques souvenirs ont traversé le temps. Merci pour vos retours. Patrick Dubreucq

(1) un arrêté du ministère de l’Agriculture du 19 octobre 1907, appliqué par le préfet de Seine-et-Marne, interdit désormais toute exploitation de grès dans la forêt domaniale de Fontainebleau

(2) Frantz Zeltner, un citoyen d’origine suisse, obtient, en mars 1830, du roi Charles X un bail emphytéotique de 99 ans pour exploiter le Long Rocher sur une superficie de 66 hectares afin d’y fabriquer « des pavés, des bornes et des pierres de taille ». Nous reviendrons dans un prochain article sur cette exploitation.

(3) Il existe un hôtel Boyer, avenue de la Gare, au début du XXème siècle tenu par Jules Boyer, né en 1856 à Montigny et marié à Amanda Frichet née en 1855. Ils ont une fille, Hélène, née en 1884 à Paris. La stèle funéraire, au cimetière de Montigny-sur-Loing, indique qu’Amanda est décédée en 1923 et Jules en 1927.

(4) les deux carriers qui ne figurent pas sur la carte postale sont d’une part : Georges Genty, né en 1857 à Montigny-sur-Loing et Alexandre Guerre né en 1843 à Ferrière (Loiret). Témoin de la destruction de la grotte du Croc marin pendant la guerre de 1870, Georges Genty est connu, sous le surnom de « La Gaillouche ». Sa stèle funéraire au cimetière de Montigny nous apprend qu’il est mort, en 1943, dans sa 86ème année. Nous n’avons pas retrouvé la tombe d’Alexandre Guerre ni celle de Louis Réveillé mais nous savons, grâce aux registres d’état civil conservés à la mairie de Montigny-sur-Loing (merci au service d’accueil de la mairie) que ce dernier  est décédé le 05  juin 1919 dans sa 57ème année.

(5) La pierre tombale de Léopoldine Thibault, au cimetière du Montigny-sur-Loing, nous apprend qu’elle est décédée en 1939. Nous n’avons pas retrouvé la tombe d’Émile Boyer mais nous savons, grâce aux registres d’état civil conservés à la mairie de Montigny-sur-Loing (merci au service d’accueil de la mairie) qu’il est décédé le 19 novembre 1909 à l’âge de 51 ans.


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À propos des abris de carriers de grès dans le massif de Fontainebleau.

En cheminant dans les anciennes carrières de grès du massif de Fontainebleau, on découvre parfois de petits ouvrages en pierre sèche construits surtout avec des écales et situés à proximité des fronts de taille. Ce sont le plus souvent d’anciens abris ou « loges» (1) de carriers. Ces derniers, qui habitaient dans les villes et villages environnant la forêt et partaient tôt le matin pour la journée, utilisaient ces abris pour remiser leurs effets personnels (vêtements, nourriture…) et peut-être leurs outils. Selon des données recueillies en 2021 auprès des membres de la Commission Carrières et Carriers des Amis de la Forêt de Fontainebleau qui procèdent à leur inventaire depuis plus de 10 ans, plus de 300 abris, le plus souvent en ruine, ont été retrouvés parmi tous ceux qui furent construits au cours des siècles. En fonction de leur dimension, de leur forme, des modalités de construction, il est possible d’en distinguer plusieurs types. Un certain nombre sont aménagés sous platière ou s’adossent à une grotte naturelle que les carriers avaient pris soin de déblayer. Beaucoup d’autres, élevés en pierre sèche avec des écales et autrefois recouverts de branchages, sont totalement artificiels. S’il existe quelques abris « habitables », la plupart sont de petite taille et conçus pour abriter de deux à quatre personnes qui pouvaient s’assoir sur des bancs de blocs de grès posés au sol. Un certain nombre d’abris comportent des niches et une cheminée qui permettait de se réchauffer à la mauvaise saison. Ils servaient alors de « cantine » au moment des pauses pour le « casse-croûte ». Cependant rien dans les archives ne permet de penser que les carriers y passaient la nuit. La plupart avaient en effet une famille et ne craignaient pas une longue marche pour regagner leur domicile le soir venu.

Parmi ces abris, l’un, désormais unique de son espèce, a la forme d’une borie provençale. Muni d’un couloir d’accès, aménagé en réserve au milieu d’un monticule d’écales, il est surmonté d’une voûte en grès.  Cet abri exceptionnel, bâti dans une zone de carrières exploitées dans la seconde moitié du XIXème siècle, présente des signes de fragilité. Ces dernières années, de fréquents épisodes de sécheresse suivis de pluies abondantes se sont succédés.  Ils nous font craindre qu’un jour la voûte ne s’effondre comme c’est arrivé à un abri du même type qui se trouve non loin.  Nous avons donc pris l’initiative de le faire numériser – un grand merci à Samuel Praizelin – ce qui a l’avantage de permettre aux chercheurs de l’explorer en détail et aux curieux de le visiter virtuellement.  Patrick Dubreucq

Pour visiter virtuellement l’intérieur et l’extérieur de l’abri enterré cliquez sur les liens suivants :

(1) On trouve l’expression Loge aux carriers dans un récit de promenade rapporté par Louis-Michel Charon en 1849 : « Laure, apercevant de loin une excavation avait pris le devant ; elle arriva bientôt à une espèce de grotte située à gauche du sentier et au fond de laquelle se trouve un banc de pierre (…) deux hommes sortirent de la loge (…) que l’on connaît sous le nom de loge aux carriers ». La « Loge aux carriers » est un lieu remarquable mentionné dans les guides des sentiers de promenade des Amis de la forêt de Fontainebleau. Elle est située au Rocher des Demoiselles. Références de l’ouvrage :

Charon Louis-Michel, Promenade philosophique et sentimentale au sentier Bournet, édité chez Brochot, Fontainebleau, 1849 pp 81-83, 187 pages. Médiathèque de Fontainebleau, section Patrimoine cote A 1770 ou F.L. BR.5060



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À propos des outils utilisés par les carriers de grès du massif de Fontainebleau au milieu du XIXème siècle

L'Illustration, journal unvisersel, 17 octobre 1846, médiathèque de Fontainebleau, cliché P. Dubreucq, 2017.Automne 1846, un envoyé du magazine l’Illustration, journal universel, se rend à Fontainebleau pour un reportage sur un métier largement méconnu. On ignore dans quelle auberge il séjourne mais on nous apprend qu’il loue les services du  « voiturier Bernard». Ce carrossier-sellier est installé  au cœur de la ville, 15 rue de France. Ses cochers ont la réputation de bien connaître la forêt (1). Le journaliste vante la commodité des voitures qui le conduisent en forêt de Fontainebleau, « au milieu d’un charmant paysage »  à la rencontre des ouvriers  qui travaillent, au sud de la ville, au Rocher Fourceau.  A  l’issue de son séjour, le 17 octobre 1846, un article intitulé « les carrières de grès à paver » est publié.  Trois gravures remarquables l’illustrent.  L’une présente une vue d’ensemble d’une « grésière au rocher Fourceau », une autre « l’embarquement des pavés au port de Valvins » et la troisième, qui nous intéresse aujourd’hui, : « un ouvrier grésier avec ses divers outils ». Il s’agit de la représentation la plus ancienne, connue à ce jour, d’un carrier de grès dans le massif de Fontainebleau. L’auteur de la gravure a apposé ses initiales P.B.  Nos recherches n’ont pas permis de retrouver son identité. Je remercie par avance le lecteur qui pourra combler cette lacune.

On découvre, sur cette illustration, le portrait en pied d’un carrier à l’heure du déjeuner. Assis sur un bloc de grès fraichement débité, jambe gauche tendue, l’autre repliée, le pied sur un pavé, une gamelle ou une tranche de pain dans une main, un couteau dans l’autre, il se restaure. Partis tôt le matin, les carriers, qui habitent en ville ou dans les villages en lisière de la forêt, ne rentrent chez eux qu’à la tombée du jour. Ils sont tenus de déjeuner sur place. L’heure du casse-croûte est un moment précieux de repos et de conversation pour les quatre ou cinq ouvriers qui travaillent ensemble dans une carrière. On dit aussi une batterie.  L’homme porte une casquette qui protège du froid ou du soleil. Chemise et pantalon sont amples pour ne pas gêner les mouvements. Il est chaussé de sabots. Selon Lucien Estrade (2) : « autrefois, les carriers avaient des sabots spéciaux faits dans du pied de bouleau, la semelle était épaisse et servait d’étançon pour le levier libérant ainsi les bras » dans des opérations de versement des blocs. Le visage n’est pas celui d’un adolescent ni d’un carrier épuisé par toute une vie de labeur. Le regard semble déterminé. La musculature des avant-bras témoigne que l’homme est en pleine force de l’âge. Le gilet et le col de chemise ne manquent pas d’élégance. Sans doute, s’agit-il d’un maître carrier, d’un chef de batterie. On dit aussi chef d’atelier. Selon Domet (3) : « il paie d’ordinaire ses ouvriers à la journée et s’entend directement avec l’entrepreneur à ses risques et périls pour le prix du pavé ».

Le maître-carrier est propriétaire des outils de sa batterie. Il faut compter 300 francs pour une batterie d’outils (4) alors que le gain quotidien d’un carrier tourne autour de 4 à 5 francs.  Les outils, disposés au pied du carrier ou alignés contre le front de taille, sont bien mis en évidence.  J’aimerais vous entretenir de leur fonction. Il y a d’abord la pelle à sable et la bêche, deux outils nécessaires au terrassement. C’est la première tâche dans une carrière : prélever les terres qui recouvrent le banc de grès et dégager le front de taille jusqu’à sa base. On pourra dès lors procéder à l’opération d’abattage, puis au dédoublage et enfin à la taille finale des pavés. Derrière la bêche, on remarque de longues tiges de fer. Le dessin n’est pas assez précis pour déterminer si ce sont des leviers ou des burins. Le levier  – ou pince –  sert à déplacer les gros blocs, à les écarter ou les retourner selon les besoins. S’il s’agit d’un burin, il sert à creuser les trous de mine afin de fendre la dalle de grès à l’aide d’un explosif. Cette opération qui se répand dans la seconde partie du XIXème siècle porte le nom de burinage ( voir publication du 24 novembre 2020). Cependant la méthode la plus courante pour procéder à l’abattage est décrite dès 1774 dans un mémoire de François de Lassonne (5), médecin du roi Louis XVI et de Marie-Antoinette. Elle consiste à creuser sur le sommet de la dalle de grès des encoches, sortes de « rigoles » ou de « gouttières », appelées mortaises. Ces mortaises ou boîtes à coin sont façonnées  à l’aide d’un marteau pointu – visible à proximité du pied gauche – . Une fois la mortaise creusée, on y insère des coins – devant le marteau pointu – qui seront frappés à grands coup d’une masse  – à la gauche du personnage – . Chaque coup imprime et transmet une secousse profonde et comme l’effort du coin est à la fois vertical et latéral, le bloc finit par se fendre et la dalle se détache.  Contrairement au marteau pointu dont le manche est court, le manche de la masse est « long et flexible, souvent en noisetier, pour éviter de broyer les poignets du carrier ».(6)

Une fois la dalle abattue, on réitère l’exercice pour obtenir des blocs plus petits. C’est l’opération de dédoublage. Plus petits, les blocs seront ensuite divisés à l’aide d’un outil – entre les pieds du carrier -qui a la forme « de deux coins réunis par la base »  : le couperet .  Le gros couperet sert à percuter une ligne de coupe et à lancer des fentes dans un bloc que l’on souhaite diviser.  François de Lassonne  décrit l’opération de dédoublage au couperet assez précisément : « on équarrit autant qu’il est possible la grande dalle et on la partage ensuite en plusieurs parallélépipèdes que l’on divise en dernier lieu en cubes à peu près égaux, qui ont les dimensions requises pour être employées en pavés : ces partages et ces divisions exigent moins de peine (que l’abattage) , on en vient à bout assez facilement avec la double cognée seule (le couperet). On trace avec la partie tranchante de l’instrument et à petits coups répétés sur trois faces du parallélépipède la ligne ou empreinte qui détermine la cassure que l’on veut faire et pour l’effectuer on frappe ensuite à plus grand coups avec le tranchant de la même cognée de fer ; le morceau ne tarde pas à se séparer en suivant exactement dans l’épaisseur et la profondeur la ligne auparavant tracée extérieurement. C’est en quoi consiste tout le travail de cette seconde opération »

Les couperets dont l’usage faiblit au XXème siècle semblent très utilisés au XIXème siècle.  Leur taille varie en fonction des besoins. Le petit couperet sert dans les opérations de la taille du pavé.  L’utilisation du ciseau-massette pour la taille finale des pavés remonte seulement au début du XXème siècle.

Dans son article, le journaliste souligne à quel point le métier de carrier de grès exige du savoir-faire et de l’expérience. Il rend hommage à leur profession dans des termes qui nous serviront de conclusion. : « On ne sait pas assez combien de peines et de travaux il faut pour arracher à la carrière, amener à Paris et placer sous les roues des voitures ce grès que broie notre circulation dévorante (…) Le travail de l’ouvrier tailleur de grès exige peut-être plus d’adresse, de coup d’œil et de pratique, que celui du tailleur de pierre calcaire. Il faut une connaissance approfondie de la nature même du grès, pierre réfractaire à l’outil, d’une dureté extrême, et cependant qui se fend, qui éclate, qui se brise au moment où l’on s’y attend le moins, sous un coup maladroit. Aussi la profession de tailleur de grès se transmet-elle de père en fils et les enfants croissent dans la carrière même ». Patrick Dubreucq.

 (1) Denecourt C.F., guide du promeneur et de l’artiste à Fontainebleau, itinéraire du Palais et de la Forêt , 7 ème édition, Paris, 1851.

(2) Estrade Lucien,  les carrières de grès entre Fontainebleau et Etampes, 1990, 36 pages, Archives départementales de Seine-et-Marne cote 4 AZ 5

(3) Domet Paul, Histoire de la forêt de Fontainebleau, Hachette 1873, 404 pages, réédition Laffitte, Marseille, 1979.

(4) Lassone (de) Jean-Marie-François, Mémoire sur les grès en général et en particulier sur ceux de Fontainebleau. Histoire de l’Académie des Sciences pour l’année 1774, avec les mémoires de Mathématiques et de Physique pp 31-32 et pp 209-236. 1778, Imprimerie royale, Paris. Disponible sur gallica.bnf.fr.

(5) acte de vente de 1847 trouvé dans les Archives municipales de Chamarande, 91730, par Jean-Pierre Melaye.

(6) témoignage enregistré recueilli auprès de Robert Diot en janvier 1987 lors d’une visite dans les anciennes carrières du Coquibus.


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À propos de l’emploi des femmes dans les carrières de grès des environs de Paris et dans le massif de Fontainebleau au XIXème siècle.

Comme le montrent ces deux  gravures de A. Lançon extraites du numéro 1415 de la revue l’Illustration, journal universel, du 9 avril 1870, les femmes ne sont pas exclues du travail dans les carrières de grès des environs de Paris au XIXème siècle. Un article intitulé « Les pavés de Paris »  accompagne les images d’une carrière probablement située « dans la vallée de l’Yvette, aux alentours  de Chevreuse ou  d’Orsay ». Son auteur, Camille Personnat, précise : « les pavés sont transportés à dos de femmes et d’enfants (…) Pour charger, ils placent leur crochet sur un chevalet, en lui donnant une position telle qu’une ficelle, attachée à une petite pierre, suffit pour le maintenir en équilibre jusqu’à charge complète. Le transport n’est pas sans quelque danger ; car les porteurs sont quelquefois obligés de passer dans des sentiers escarpés et sur des planches à peine assujetties de chaque côté d’une large tranchée (…) Les malheureuses qui s’y engagent, chargées d’un lourd fardeau risquent souvent d’être précipitées. Il y faut un pied solide et exercé ». On s’interroge sur le poids de ce  «lourd fardeau ». Le journaliste n’en dit rien et nous sommes amenés à l’imaginer. Sachant que la densité du grès est d’environ 2,3, un rapide calcul peut nous donner une indication. Un pavé cubique de 11,5 cm de côté, qui correspond à un demi-pavé d’échantillon en tous sens, pèse environ 3,5 kg. Un pavé cubique de 15 cm de côté qui correspond mieux à la réalité du dessin (entre le bas des reins et le haut de la nuque, on peut mesurer au minimum 60 cm chez un adulte) pèse 7,8 kg environ. Si on multiplie par quatre comme le montre la gravure, on se fait une idée de la dureté de la tâche… sans parler du pavé d’échantillon, répandu à certaines périodes, un cube de « 23 cm en tous sens » (1) qui pèse 28 kg. 

 Dans le massif de Fontainebleau, des femmes, sans être très nombreuses, travaillaient également dans les carrières de grès.  C’est ce que nous rapporte Victor de Maud’huy  dans un ouvrage consacré aux « Carriers de Fontainebleau» publié en 1846 (2) :  « Le sexe féminin n’est pas entièrement refusé à cette rude profession ; une femme de la ville, morte de vieillesse il y a une douzaine d’année, a fait état de travailler avec son mari aux carrières du Mont-Saint-Germain. Elle lui faisait les mortaises (3)  dans les masses (…) Elle avait reçu le surnom de la Grande-Sirène, et était à tous égards estimée de tous (…) Une autre en avait pris l’habitude, en accompagnant son mari aux carrières pour mettre obstacle à son penchant à l’inconduite; une troisième présentement mariée, s’adonnait au charroi et par suite à la charge de placer les pavés sur sa voiture ; cette dernière opération étant pénible, souvent les carriers y aidaient. Les femmes de cette classe ouvrière sont laborieuses ».

A la fin du siècle, des femmes sont toujours présentes dans les carrières. Un article de l’Abeille de Fontainebleau du 27 janvier 1899 précise : «  le nombre de carriers travaillant en forêt va chaque année en diminuant (…) L’année 1898 donne le chiffre de 60 carriers, un jeune de moins de 18 ans et 4 femmes soit au total 65 ouvriers qui ont taillé durant les 12 mois écoulés 168236 pavés et tirés 4646 m3 de pierre calcaire, sable, pierre siliceuse ou grève. » L’article donne une répartition des carriers par commune et par sexe et permet de savoir que 2 femmes habitent Fontainebleau, l’une Milly-la-Forêt et la dernière le hameau des Sablons. Les recherches entreprises n’ont pas permis, jusqu’à présent, de connaître leur identité. Patrick Dubreucq

(1) Cahier des charges de l’entreprise des travaux d’entretien du pavé de Paris de 1835 à 1838, article 7. Bibliothèque historique de la ville de Paris.

(2) Disponible à la Médiathèque de Fontainebleau, service du Patrimoine.

(3) Voir publication du 15 juin 2020


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Décembre 2020 : les calcites de Fontainebleau sont à l’honneur du dernier numéro de la revue « Le Règne Minéral ».

Le Règne Minéral, revue à l’attention des amateurs et collectionneurs de minéraux, consacre une partie de son n° 156 aux Calcites de Fontainebleau. L’article réexamine le contexte historique et géologique de ces calcites à esthétique si particulière. Il est montré comment au 18ème siècle, les collections françaises ont fourni de nombreux échantillons qui sont à l’origine de la description et de la définition des espèces minérales. Est aussi donné un historique de la découverte, la perte et la redécouverte de l’exceptionnelle Grotte aux Cristaux. Fontainebleau est une sorte de « localité type » pour ces cristaux de calcite avec grains de sable inclus. L’un des auteurs, le géologue Médard Thiry, a bien voulu répondre à quelques questions.

A-t-on une idée de l’âge de ces calcites ? Ces calcites sont d’âge Quaternaire et liées aux périodes glaciaires. Elles ont moins de 1 Ma (million d’années) et de nombreuses ont été datées entre 30 000 et 20 000 ans, c’est-à-dire de la dernière glaciation. Elles sont sans rapport avec l’âge du dépôt des Sables de Fontainebleau qui les contiennent (30 Ma). Leurs alignements au sein des sables suggèrent une précipitation à partir d’anciennes nappes phréatiques. Elles sont des archives de l’interaction entre les eaux météoriques de surface et les eaux profondes de la nappe. Ces anciens niveaux de nappe permettront à l’avenir de reconstruire les anciens paysages bellifontains et leur incision par les vallées. 

Où les rencontre-t-on ? Les calcites se rencontrent presque toujours dans les sables. Mais il en existe aussi incluses dans les dalles de grès. Ces dernières sont précieuses. Étant contenues dans le grès, elles se sont formées dans le sable avant sa cimentation en grès. Elles sont donc plus anciennes que le grès qui les contient. Leur datation permet ainsi de fixer l’âge maximum que peut avoir le grès. C’est le seul élément dont on dispose actuellement pour la datation directe des grès. 

On parle de trous de calcite, de quoi s’agit-il? Les calcites sableuses sont sensibles à l’altération. Exposée aux intempéries la calcite est lentement dissoute, et ne restent en place que les grains de sable qu’elle contenait. C’est l’origine des nombreux trous de taille centimétrique à décimétrique que présentent souvent les grès à l’affleurement. De très beaux exemples sont visibles aux Rochers et Platières de la Gorge du Houx, à proximité du « village des carriers », Rte Jean, Parcelle 116. Les trous s’y alignent en plusieurs niveaux superposés qui correspondent à des niveaux successifs de la nappe qui a provoqué la précipitation de ces nodules de calcite. 

Peut-on observer de la calcite en place dans le grès? La calcite en place dans les grès est très difficile à voir. Ce n’est qu’une observation attentive à la loupe et un test à l’acide qui permet de la détecter. Mais les carrières de grès offrent de voir les trous de dissolution des calcites qui présentent des moulages de cristaux qui ont été dissouts. Quelques exemples sont visibles sur les anciens fronts de taille autour de la Platière de la Gorge du Houx. Et pour cela, les carrières sont tout aussi précieuses que les calcites, sans front de taille, pas de calcite incluse à prélever pour datation. Un truc … chut … il n’y a jamais d’araignée sur les grès strictement siliceux, elles ne sont que sur les grès qui contiennent de la calcite … merci madame l’araignée !

Platière de la Gorge au Houx, Rte Jean (P 116). Sur le front de taille d’une ancienne carrière. Alignement de trous correspondant à des groupements de calcite sableuses dissoutes. Les trous sont presque systématiquement occupés par des araignées dont la présence indique qu’il reste encore des résidus de calcite dispersés dans le grès. Photo Thiry, 2016.

Références

Thiry, M., De Ascenção Guedes, R., Chiappero, P.-J., Martaud, A., 2020, Les calcites de Fontainebleau, Seine-et-Marne, et autres calcites sableuses revisitées …, Le Règne Minéral, 156, p. 7-37.

Bailly, S., 2020, À la découverte des calcites de Bonnevault, Larchant, Seine-et-Marne, Le Règne Minéral, 156, p. 38-40.

Outre de nombreuse figures les articles présentent plus de 10 planches d’échantillons exceptionnels. Commande possible auprès de la revue Le Règne Minéral, 14€ frais d’envoi inclus